La question de la place respective des normes constitutionnelles et internationales dans la hiérarchie des normes est une problématique fondamentale du droit. L’arrêt Fraisse rendu par l’assemblée plénière de la Cour de cassation le 2 juin 2000 apporte un éclairage décisif sur ce sujet.
Une habitante de Nouvelle-Calédonie privée de son droit de vote
Les faits à l’origine de l’arrêt Fraisse se déroulent en Nouvelle-Calédonie. Mlle Pauline Fraisse, habitante de l’île depuis 6 ans seulement, se voit refuser son inscription sur les listes électorales pour participer aux élections locales. En effet, l’article 188 de la loi organique du 19 mars 1999 exigeait une durée de résidence de 10 ans.
Après le rejet de son recours par le tribunal de première instance de Nouméa, Mlle Fraisse forme un pourvoi en cassation. « J’habite en Nouvelle-Calédonie depuis plusieurs années et je paie des impôts ici. Je ne comprends pas qu’on m’interdise de voter sous prétexte que je n’ai pas 10 ans de résidence », témoigne-t-elle.
La question de la primauté constitutionnelle
Devant la Cour de cassation, la requérante invoque la contrariété de l’article 188 à des normes internationales et communautaires. L’enjeu est de déterminer si une norme constitutionnelle peut faire l’objet d’un contrôle de conventionnalité par le juge judiciaire. L’arrêt Fraisse répond par la négative et pose le principe de la primauté de la Constitution sur les conventions internationales dans l’ordre interne.
Le contrôle de conventionnalité permet au juge national de vérifier la conformité d’une loi aux traités internationaux ratifiés par la France. S’il constate une contrariété, il peut écarter la loi au profit du traité. Mais l’arrêt Fraisse interdit au juge judiciaire d’exercer ce contrôle sur une norme constitutionnelle.
Une immunité juridictionnelle des normes constitutionnelles
En affirmant que la suprématie conférée aux engagements internationaux par l’article 55 de la Constitution ne s’applique pas aux dispositions constitutionnelles, la Cour de cassation consacre une forme « d’immunité juridictionnelle » au profit des normes constitutionnelles.
Le juge judiciaire ne peut donc pas écarter une disposition constitutionnelle au motif qu’elle serait contraire à un traité. La Constitution bénéficie d’une protection renforcée et le juge n’a pas le pouvoir de la remettre en cause au nom du droit international.
Impact majeur sur le droit constitutionnel
L’arrêt Fraisse a eu un retentissement considérable en posant un principe fondamental de la hiérarchie des normes, déjà affirmé par le Conseil d’État dans sa jurisprudence Sarran. Il reste une référence incontournable du droit constitutionnel français.
Toutefois, l’évolution du droit européen et la multiplication des normes supranationales pourraient remettre en cause à l’avenir la primauté absolue de la Constitution. La question n’est donc pas définitivement tranchée et continuera probablement de faire l’objet de débats doctrinaux.
Bon à savoir : Depuis 2008, le contrôle de constitutionnalité a posteriori a été introduit en France avec la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC). Un justiciable peut désormais contester la constitutionnalité d’une loi déjà en vigueur devant le Conseil constitutionnel.