Le 9 mai 1984, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a rendu un arrêt fondateur qui a marqué un véritable tournant dans l’évolution du droit de la responsabilité civile. En effet, cet arrêt Lemaire du 9 mai 1984 a consacré une conception objective de la faute, faisant disparaître la nécessité de l’élément moral qui était traditionnellement requis.
Les faits tragiques à l’origine de l’arrêt Lemaire
Tout commence par un dramatique accident. Le 10 août 1977, Dominique, un jeune garçon de 13 ans, est mortellement électrocuté dans la ferme de ses parents en vissant une ampoule défectueuse. Quelques jours plus tôt, Jacky Lemaire, ouvrier électricien, avait effectué des travaux sur le réseau électrique du bâtiment. Les parents de l’adolescent ont donc assigné Jacky Lemaire et son employeur en justice, réclamant réparation de leur préjudice.
Une responsabilité partagée retenue par les juges
En première instance, le Tribunal correctionnel a reconnu Jacky Lemaire coupable d’homicide involontaire. Sur le plan civil, il a considéré que la responsabilité du décès devait être partagée entre l’électricien et l’adolescent lui-même. En appel, la Cour d’appel a confirmé ce partage, estimant que le jeune Dominique avait commis une faute en omettant de couper le courant avant de visser l’ampoule.
La question du discernement au cœur du pourvoi
Les parents se pourvoient alors en cassation, arguant que leur fils, en raison de son jeune âge, n’avait pas la capacité de mesurer les conséquences de ses actes. Selon eux, sa faute ne pouvait donc pas être retenue. L’arrêt Lemaire pose ainsi la question fondamentale du discernement comme condition de la faute civile.
Bon à savoir : le discernement s’entend comme la capacité à apprécier avec clairvoyance une situation donnée. C’est une faculté qui permet de distinguer clairement les choses, de faire preuve d’entendement et d’avoir conscience de la portée de ses actes.
L’abandon du critère subjectif par la Cour de cassation
Traditionnellement, pour qu’une faute soit retenue, il fallait démontrer que son auteur avait conscience et mesurait la portée de son acte. Avec l’arrêt Lemaire du 9 mai 1984, la Cour de cassation opère un revirement jurisprudentiel majeur en jugeant qu’un manque de discernement n’empêche pas de retenir l’existence d’une faute civile. Elle consacre ainsi une conception objective de la faute, se limitant à l’élément matériel du comportement illicite.
Par exemple, avant 1984, si un enfant provoquait un accident, il ne pouvait pas être tenu pour responsable civilement, n’ayant pas la capacité de mesurer les conséquences de ses actes. Désormais, peu importe son discernement, s’il commet un acte fautif ayant causé un dommage, il pourra voir sa responsabilité engagée.
Un progrès pour l’indemnisation des victimes
Ce nouveau critère objectif de la faute civile présente l’avantage, du point de vue des victimes, de permettre leur indemnisation même en cas d’absence de discernement de l’auteur. Il s’agissait d’une évolution attendue pour mieux protéger les victimes. Néanmoins, certains s’interrogent sur la responsabilité morale des enfants et des personnes atteintes de troubles mentaux.
« Je comprends que la victime doive être indemnisée, mais faire porter la responsabilité à un enfant me pose un problème éthique », témoigne Me